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UN DIVORCE

lumineux qui n’étaient pour lui que des clous d’or sur un voile noir, comme on l’admire, cet homme, d’une pareille œuvre ! Il n’avait pas d’autres outils que ses pauvres yeux et sa raison. Ils ont suffi… » — « Et comme on admire le Dieu du Symbole des Apôtres, créateur de ce ciel et de cette terre !… » dit Gabrielle Darras. Dans ce discours de son mari, elle avait démêlé, non pas un manque à la parole donnée, mais une intention, pour elle bien inquiétante. On se rappelle avec quel étonnement elle avait écouté le Père Euvrard lui parler de la Religion et de la Science, comme de deux domaines juxtaposés mais parallèles, différents mais identiques en leur fond. Elle avait trop complètement subi, et pendant trop d’années, l’influence de la pensée de Darras pour n’avoir pas gardé la persuasion contraire. À l’écouter, elle venait d’entrevoir un danger qu’elle n’avait pas prévu : il allait, à partir de ce jour et dans ses moindres conversations, nourrir l’intelligence de sa fille d’idées scientifiques. Pourquoi ? Dans l’espérance que plus tard, placée entre la négation du surnaturel enveloppée dans ces idées, et la foi au surnaturel enseignée par son éducation, elle choisirait comme lui-même avait choisi. L’appréhension de ce redoutable travail avait arraché à la mère ce cri de protestation, que le père ne pouvait pas relever. Un quart d’heure auparavant, il avait renouvelé son engagement de neutralité. Il y demeura fidèle en ne poussant pas plus avant la discussion ; mais lorsqu’après ce déjeuner achevé dans une gêne pénible, il se retrouva seul à seule avec Gabrielle, ce fut de cette interruption qu’il prit texte pour rouvrir l’entretien là où il l’avait laissé. Elle constata