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SILENCES

le prétexte d’un voyage. De recommencer à mentir lui fut si pénible qu’il prononça cette phrase avec une impatiente brusquerie. L’institutrice en resta décontenancée. Puis, coupant court à toute nouvelle demande, et comme on passait à table, le père dit, en caressant les cheveux de sa fille : — « Mademoiselle Jeannette aura-t-elle une bonne place au lycée cette semaine ? En quoi a-t-elle composé ?… »

— « En cosmographie, papa, » répondit l’enfant.

— « Sa copie m’a paru très complète, » dit Mlle Schultze. « Et elle y a eu du mérite. C’est une science qu’elle n’aime guère. »

— « C’est pourtant une belle science, la plus belle peut-être… » reprit Darras. « Mais oui, » continua-t-il, en interpellant la petite. « On t’a enseigné la mythologie, n’est-ce pas ? Quelle pauvreté que l’Olympe, les Jupiter, les Apollon, les Diane, à côté de la simple réalité telle que l’observation nous la révèle : la terre lancée dans l’espace et décrivant, autour du soleil, cette route que nous mesurons à une lieue près ; les autres planètes emportées, elles aussi, dans l’orbite de ce soleil, avec une vitesse que nous mesurons également ; ce soleil au centre de son peuple d’astres, lui-même suspendu à l’ensemble des mouvements de sa nébuleuse ; cette nébuleuse, cette poussière de soleils qui ont tous leur cortège de satellites, occupant sa place dans l’étendue à côté d’autres, et ainsi de suite indéfiniment, à travers l’espace infini… quelle évocation, quelle poésie ! Et quand on songe que l’homme, ce chétif insecte, perdu sur un coin imperceptible de cette croûte terrestre a pu découvrir les lois éternelles de ces globes