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UN DIVORCE

mentée, avec la gaîté de cette pièce et de cette heure. Cette antithèse leur fut rendue plus sensible à eux-mêmes, par l’entrée de Jeanne qui arrivait, joyeuse, le rire aux lèvres, l’insouciance aux yeux, suivie de la paisible et lourde Mlle Schultze, l’excellente Allemande dont le pas avait averti la mère. Darras put constater aussitôt combien la remarque de celle-ci sur la finesse de leur enfant était justifiée. Décidé, comme il l’avait promis, à ne rien laisser transparaître de ses émotions, il avait ouvert un journal, et feignait de s’y absorber. Sa femme s’occupait de son côté à ranger des pelotes dans un panier à ouvrage. Il ne fallut qu’un regard à la petite fille pour deviner que son père et sa mère venaient de prendre cette attitude à cause d’elle. Elle comprit qu’ils étaient en proie à une agitation extraordinaire. Ses prunelles noires traduisirent soudain une gêne. Le gentil bavardage où allait s’épancher son enfantine joie de vivre s’arrêta sur sa bouche intimidée, et, après avoir embrassé ses parents, elle aussi, elle essaya de se donner une contenance en feuilletant un livre à gravures placé sur la table. Le relèvement instinctif de sa jolie tête à une naïve question de Mlle Schultze prouva du moins à sa mère que son précoce esprit n’avait pressenti qu’un seul des deux drames engagés sous le toit paternel.

— « Mais où donc est allé M. Lucien ? » avait demandé l’imprudente Fraulein. « Je croyais l’avoir vu rentrer tout à l’heure ? »

— « Il a été obligé de repartir aussitôt pour une courte absence, » répondit Darras. Il avait dû, malgré son aversion pour les mensonges d’opportunité, justifier l’absence de son beau-fils par