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UN DIVORCE

ordre avait fait le collège Massillon. Qu’un mathématicien illustre, au bord de la vieillesse, doive quitter sa communauté, son paisible cabinet d’études et se réfugier dans un pauvre logement, pour y vivre chétivement, de ses jetons et de quelques travaux mal payés, cela juge un régime et son intelligence. Mais quand bien même Mme Darras eût réalisé dans sa vérité le petit drame que représentaient, pour ce prêtre, ce bouleversement de ses innocentes habitudes, cette nécessité de parer aux besoins de l’existence matérielle, cette séparation surtout d’avec ses frères, peut-être cette épreuve lui eût-elle paru moralement légère, comparée à la tragédie de foyer où elle se sentait à la veille de s’engager. La visite au proscrit de la rue Servandoni n’en constituait qu’un épisode. Cette tragédie n’était que latente, et déjà la terreur des conflits futurs agitait si fortement les nerfs de cette femme, qu’arrivée sur le palier de ce second étage, et quand elle eut sonné à la porte à droite, suivant les instructions du concierge, elle dut s’appuyer à la rampe. Des pas se rapprochaient, venant de l’intérieur. Ils lui retentissaient physiquement dans le cœur. C’étaient ceux du prêtre, qui demeura une seconde, interloqué, la porte une fois ouverte, devant cette visite inattendue. Le coup de sonnette l’avait surpris au tableau noir, et qui travaillait. Il tenait encore à la main un morceau de craie blanche. Sa soutane défraîchie, sa barbe de trois jours, les ailes trop longues de sa chevelure roussâtre, à peine grisonnante à soixante ans, dénonçaient l’incurie du savant pour qui le monde extérieur et sa propre personne existent très peu. Avec cela, une petite taille, un torse exigu, et un visage rose.