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LA PLAIE OUVERTE

Il ne s’agissait plus maintenant des égarements de son beau-fils. La soudaine lamentation de sa femme venait de lui causer un tel saisissement de surprise que sa colère avait disparu du coup pour laisser la place à une stupeur épouvantée devant la plaie découverte au plus secret de son ménage. — « Tu ne crois pas cela, Gabrielle ? » supplia-t-il… « Tu ne peux pas le croire, que tu n’aies pas bien agi en acceptant de refaire ton existence avec moi, si honnêtement, si loyalement, en conformité avec une loi de sagesse et de progrès ? Ce serait renier tout notre passé, tu ne le peux pas ! »

— « Je ne renie rien, » dit-elle, « j’ai des remords… Devant quel Dieu ?… me demandes-tu. Mais le Dieu de ma mère et de mon père, de ta mère et de ton père ; le Dieu que j’ai appris à prier quand j’étais toute petite ; le Dieu que ma fille apprend à prier ; le Dieu de l’Évangile et de l’Église, de mon Église. J’avais perdu la foi en lui, je l’ai retrouvée… Ce qui s’est passé depuis trois jours me prouve trop que j’avais raison : notre foyer est maudit. Nous sommes frappés parce que nous sommes en révolte contre lui, parce que nous l’outrageons tous les jours, parce que… » — Elle hésita une seconde. Elle pensait à la phrase qu’avait prononcée le Père Euvrard : confesser de bouche ce que l’on croit pour obtenir le salut. — « Ah ! je dirai tout, tu sauras tout mon cœur, ce cœur qui t’aime tant, mais le cri de la conscience est le plus fort, — parce que nous ne sommes pas mariés !… »