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UN DIVORCE

ment ?… Ce bruit parut avoir rendu la conscience de la réalité à Gabrielle, à qui son mari essayait en vain d’arracher un mot. Il lui prenait les mains, il l’embrassait, il la suppliait. Elle ne le voyait pas, ne l’entendait pas. Ce signe de la sortie de son fils la réveilla subitement de cette effrayante hypnose :

— « Il est parti ?… » gémit-elle. « Ah ! mon ami, cours le chercher, ramène-le… »

— « Je ne peux pas, » répondit Darras. « Et je le pourrais que je ne le ramènerais pas. Tu l’as constaté toi-même. En ce moment, il est fou… »

— « Non, » dit-elle d’un accent qui fit tressaillir le mari, « il n’est pas fou. C’est lui qui a raison. »

— « Que veux-tu dire ? » interrogea-t-il.

— « Ce que je dis, » répéta-t-elle, « qu’il a raison. Je ne suis pas plus que cette fille. Ni toi ni moi n’avons le droit de les condamner… Je t’aime, mon Albert, » continua-t-elle en le regardant avec des yeux où toute l’agonie de ses scrupules se laissait deviner enfin, « et à cause de cet amour, voilà des semaines, des mois, que je te cache ce qui me dévore… Il faut que je te l’aie dit, maintenant. Il le faut pour que tu pardonnes à Lucien. Il n’est que l’instrument de la justice d’en haut… Mon ami, tu n’as jamais cru. Tu ne sais pas ce que c’est que d’avoir eu Dieu avec soi et de ne l’avoir plus. Quand je t’ai épousé, j’avais été si malheureuse, tu m’aimais tant ; j’ai voulu me démontrer que j’avais le droit de refaire ma vie, avec toi. Je sais aujourd’hui que je ne l’avais pas. Non, » continua-t-elle en s’exaltant, « je ne l’avais pas. J’étais la femme d’un autre devant Dieu… »

— « Devant quel Dieu ?… » répondit Darras. —