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LA PLAIE OUVERTE

mariage. Je veux épouser quelqu’un que j’aime et que je respecte, absolument, complètement. J’ai espéré trouver en toi un appui, parce que je te croyais l’homme de tes idées. Tu ne l’es pas, C’est à ma mère seule que je m’adresserai dorénavant pour avoir son consentement. »

— « Moi vivant, tu ne l’auras jamais, » répliqua le beau-père ; « tu as bien entendu, toi aussi, jamais, jamais !… Si tu épouses cette créature, ta mère sera morte pour toi… »

— « J’attendrai qu’elle me le dise elle-même, » répondit Lucien. « Elle était ma mère avant d’être ta femme. Je verrai si elle est ta femme plus qu’elle n’est ma mère… »

— « Malheureux !… » dit Darras, hors de lui, « tu veux donc la tuer ?… » Et il montrait Gabrielle qui s’était laissée tomber sur une chaise, les yeux fixes, la bouche ouverte, les bras pendants, comme si le coup que venait de lui porter son fils avait été vraiment le dernier, celui après lequel la souffrance morale dérivera dans la folie. Devant ce spectacle, le jeune homme poussa, lui aussi, un appel de consternation. Puis comme son beau-père lui disait de la voix d’un homme en fureur et qui, dans une minute, ne se connaîtra plus : — « Va-t’en ! Mais va-t’en, par pitié pour elle, va-t’en !… » il sortit de la chambre. Jamais son orgueil de fils ne devait se plier à un plus grand sacrifice. Il venait de comprendre que, réellement, si cette dispute se prolongeait, sa mère mourrait de douleur, là, sous leurs yeux. Deux minutes plus tard, le battant de la porte cochère, ouverte puis refermée, annonçait que l’enfant de la femme divorcée avait quitté la maison maternelle, pour y rentrer, quand ? com-