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LA PLAIE OUVERTE

que celui-ci, les bras croisés, et sans reculer, répétait :

— « Oui, je les compare, et c’est la preuve du respect que j’ai pour Mlle Planat, pour ma fiancée… »

— « Je ne te frapperai pas, » dit le beau-père en passant ses mains sur son front, comme pour chasser la funeste tentation de la violence. « Je ne ferai pas cela, à cause de cette mère à laquelle tu viens de manquer si honteusement. Mais elle est ma femme, et nous allons voir si tu répéteras cette infamie devant elle… »

Il avait ouvert la porte qui séparait les deux pièces, et, saisissant Lucien par le bras, il le traîna dans le petit salon. Ce mouvement avait été trop rapide, trop énergique aussi pour que le jeune homme pût s’y dérober. Si bouleversés qu’ils fussent l’un et l’autre par les paroles qu’ils venaient d’échanger, ils s’arrêtèrent quelques secondes, immobilisés et surpris devant cette femme agenouillée qui priait, le visage caché dans ses doigts. Même dans sa colère, Darras en pâlit. Il y avait longtemps que certaines phrases de Gabrielle, certaines mélancolies, cent petits signes presque indéfinissables, lui donnaient l’appréhension d’un travail en elle dont il avait devant lui une preuve évidente. Cependant, rappelée à elle-même par le bruit des pas, elle s’était relevée. Elle était debout devant son mari et son fils, celui-là tenant toujours l’autre par le bras, et elle implorait :

— « Albert !… Lucien !… Mon ami, si tu m’aimes… » — elle s’adressait à son mari et lui prenait le bras pour dégager celui de son fils, « laisse-le !… Et toi, Lucien, que lui as-tu dit encore ?… Que vous êtes-vous dit ?… Vous me faites