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L’IMPASSE

— « Je n’en sais rien… Le plus sûr est que vous montiez y voir. L’escalier à gauche, au second étage, la porte à droite. Vous ne pouvez pas vous tromper… Sonnez fort. C’est un grand savant, à ce qu’on dit, et les grands savants sont toujours dans la lune… »

La rudesse de cet homme prouvait simplement qu’il gérait un immeuble peuplé de petits locataires trop nombreux et qu’il recevait peu de pourboires. Mme Albert Darras rougit comme d’un affront personnel. Quoique sa démarche auprès du vieux prêtre, peu considéré de son concierge, ne fût en aucune façon compromettante, elle la hasardait pourtant à l’insu de tout son entourage, notamment de son mari. Il lui sembla, dans son remords de son action clandestine, que le regard insolent du rustre interprétait sa présence ici d’une manière insultante. Ce fut donc en se hâtant et baissant la tête qu’elle s’engagea, par la porte indiquée, dans la cage d’un pauvre escalier de bois sans tapis, aux marches bien souillées, bien déjetées. Si elle avait été capable de réflexions pareilles, à cette minute, elle eût été frappée du contraste entre ce misérable gîte où s’était réfugié celui qu’elle cherchait et l’endroit où elle était allée le demander quelques jours auparavant. Rendons dès maintenant au Père Euvrard l’appellation à laquelle lui donne droit sa qualité d’Oratorien. Il figurait sous ce titre, sur l’Annuaire de l’Institut, comme membre libre de l’Académie des Sciences, avant les abominables mesures de 1903 contre les congrégations. Son adresse était alors au n° 4 du quai des Célestins, dans ce débris du magnifique hôtel Fieubet, construit par Mansart, et dont son