Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/189

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
LA PLAIE OUVERTE

de l’honorabilité bourgeoise, héréditaire chez tous les Français de sa classe. Il allait éprouver cette colère des gens de la première étape contre ceux de la seconde, aussi fréquente dans les tragédies secrètes de la vie privée que dans les drames retentissants de la vie publique. Il avait mis dans ce beau mot de loi, pour protester contre les raisonnements de son beau-fils, autant d’énergie que s’ils n’eussent pas d’avance, lui et le tyrannique parti dont il se relevait, vidé ce terme de tout sens. Son disciple en révolution devait aussitôt le lui faire sentir.

— « Il n’y a de loi respectable que celle que nous reconnaissons juste, » répondit-il… « Sinon, que devient la conscience individuelle ?… »

— « Elle se soumet à l’intérêt de la Cité, » dit Darras.

— « Et si elle voit cet intérêt dans une loi opposée à la loi existante ?… » insista le jeune homme. « Ç’a été le cas de Mlle Planat, et je persiste à prétendre que l’Union libre, telle qu’elle l’a comprise et pratiquée, est aussi respectable que le plus respectable mariage. »

— « Et moi, je vais te prouver le contraire d’un mot, » répondit le beau-père. Et, fixant ses yeux dans les yeux du jeune homme pour savoir enfin s’il avait deviné juste — : « Cette preuve, c’est que tu n’as pas encore osé me dire : Je veux l’épouser. »

— « C’est vrai, » dit Lucien, « je veux l’épouser. Je suis venu demander l’autorisation de ma mère, et, comme elle ne me donnera pas cette autorisation, tant qu’elle croira de Mlle Planat ce qu’elle en croit, je te prie, au nom des principes que tu