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UN DIVORCE

ment n’a rien eu de bas. Je ne fais pas de difficulté de te croire. Mais où je ne peux pas te suivre, c’est quand tu assimiles une Union libre comme celle-là à un mariage. »

— « Et quelle est la différence ? » interrogea Lucien.

— « Dans l’obéissance ou la désobéissance à la loi, précisément, » dit le beau-père. Il venait d’apercevoir distinctement et avec épouvante le projet, pour lui insensé, qu’avait formé son beau-fils. L’éclair de cette intuition l’avait arrêté net dans les concessions de langage qu’il avait commencé de faire au jeune homme pour éviter une querelle. Toutes les préventions éprouvées contre Berthe Planat dès le premier jour s’étaient du coup accrues encore. Cette fille était autrement redoutable qu’il ne l’avait pensé ! Toutefois, il n’avait pas voulu discuter sur sa personne, sentant bien qu’il retrouverait aussitôt devant lui l’amoureux affolé de l’autre jour. Il se préparait, en revanche, à être d’une intransigeance absolue sur un principe auquel il tenait d’ailleurs par ses fibres les plus intimes. Il était d’une génération qui aura vécu sur ce constant paradoxe de vouloir concilier toutes les vertus du monde traditionnel avec le système d’idées le plus contraire à ces vertus. En politique, cette génération a voulu l’ordre et la grandeur nationale ; — en morale, elle a rêvé, et elle rêve de stoïcisme et d’intégrité ; — avec des théories dont la conséquence immédiate est l’anarchie. C’est ainsi que Darras avait pu épouser une femme divorcée, et il était un défenseur convaincu de la famille ; qu’il professait et avait enseigné à son beau-fils la religion du sens propre, et il avait au plus haut point ce souci