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UN DIVORCE

essentiel aussi que cela fût dit. Si tu crois qu’un caractère doit être jugé favorablement jusqu’à preuve du contraire, tu crois a fortiori qu’il faut tenir compte à une personne des qualités qu’elle a montrées réellement. Est-ce équitable, oui ou non ? Réponds-moi… »

— « C’est trop évident, » fit Darras. Son intelligence simple et nette répugnait aux subtilités. Il ne comprenait pas bien où tendait son beau-fils. Mais il lui semblait qu’il n’y allait pas droit, qu’il biaisait, et ce fut avec une visible irritation qu’il ajouta : « Où veux-tu en venir ?… »

— « Où je veux en venir ?… » répondit Lucien. « À ceci : que j’ai été en droit de me révolter quand tu m’as appris que Mlle Planat avait commis des actions opposées à tout ce que je savais de son caractère. Aussi ne les a-t-elle pas commises… Laisse-moi m’expliquer, » insista-t-il presque violemment, comme son beau-père esquissait un geste de protestation. « Tu énonçais une bien grande idée tout à l’heure quand tu disais que l’on doit toujours faire crédit à une créature humaine. On le doit. Mais, en réalité, si peu de gens le font, ce crédit !… Quand une femme se donne à un homme hors du mariage, on n’a qu’un seul mot pour qualifier cette liaison : elle est la maîtresse de cet homme, et qu’un jugement : on la condamne et on la méprise… Admets-tu cependant qu’il y a une différence dans l’acte, si cette femme s’est donnée pour de l’argent ou par amour ? Et une différence encore si cet amour a été simplement sensuel ou généreux, élevé, enthousiaste ?… Oui, n’est-ce pas ?… Admets-tu qu’en dehors de l’argent, de la galanterie, de la passion même, il puisse y avoir d’autres motifs à