Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
LA PLAIE OUVERTE

sur cette triste histoire… Elle aurait pu nier. Je l’aurais crue. Pas un instant elle n’en a seulement eu l’idée… »

— « Il lui était difficile de contester des renseignements aussi précis, » répliqua Darras. « Mais tu lui sais gré de cette franchise, et tu as raison. Il est juste de toujours faire crédit à une créature humaine et d’interpréter ses actes dans le sens le plus favorable. Ma réserve porterait sur ceci que cette franchise est un peu tardive. Elle aurait dû parler plus tôt. »

— « Et pourquoi ? » interjeta Lucien. Sous la modération voulue de son beau-père, il avait senti la pointe : — « Oui, pourquoi ? » répéta-t-il. « À quel titre ?… Dans notre conversation d’avant-hier, tu m’as dit qu’elle était ma maîtresse, que tu le savais. Je t’ai répondu que c’était une calomnie et que je ne daignais même pas la discuter… Je suis de sang-froid aujourd’hui. Hé bien ! je te l’affirme sur l’honneur : avant-hier est le premier jour où j’aie eu avec Mlle Planat une conversation différente de celle qu’un étudiant peut avoir avec un autre étudiant. Pendant dix mois, nous nous sommes vus presque tous les jours, plusieurs fois par jour, et jamais je ne lui ai dit que je l’aimais. Je ne me suis jamais permis avec elle une cour, même la plus légère. Elle m’avait averti, dès le début, qu’au moindre mot qui sortirait de la bonne et franche camaraderie, elle ne me connaîtrait plus. Cet engagement, passé entre nous deux, nous l’avons tenu. Par conséquent elle n’avait pas à me faire, comme camarade, une confession de femme que le camarade n’avait pas à recevoir. Ses relations avec moi ont été d’une loyauté irréprochable. Il était