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UN DIVORCE

Pénétré d’elle et la tenant de toi, j’ai vu nettement deux points : le premier, que tu ne pouvais ni m’avoir menti, ni avoir accusé un innocent, une femme surtout, à la légère ; le second, que mon devoir était d’avertir immédiatement Mlle Planat. Elle était accusée. Elle avait le droit de se défendre. En sortant du Grand-Comptoir, je suis allé directement chez elle. »

— « Une enquête préalable et impersonnelle eût été plus habile, » remarqua Darras. « Mais ce n’est pas moi qui blâmerai jamais quelqu’un de n’être pas habile. Même sans connaître Mlle Planat, j’avais pensé un moment à agir comme toi… » Lui aussi, le ton de son beau-fils l’étonnait trop pour qu’il ne pressentît pas un incident nouveau dans une situation à laquelle il n’avait vu que deux issues : ou bien Lucien persévérerait dans son illusion, et alors des preuves décisives, obtenues par le ministère de l’Intérieur, auraient raison de cette crédulité ; ou bien ce serait une reconnaissance de la vérité, désespérée mais irrévocable, et alors la rupture était certaine. Voilà pourquoi il écoutait avec stupeur le jeune homme, son élève, sa pensée prolongée et vivante, continuer :

— « J’ai dit à Mlle Planat ce que tu m’avais dit, tout ce que tu m’avais dit, comme tu me l’avais dit… Tu avais été renseigné exactement. Mlle Planat a en effet vécu quelques mois, il y a cinq ans, avec M. Méjan. Elle a eu un enfant qui est élevé à Moret, par ses soins. Je n’ai pas eu besoin de l’interroger; C’est elle-même qui est venue au-devant de mes questions ; elle-même qui, aux premiers mots, m’a déclaré : « C’est vrai ; » elle-même qui m’a donné les détails les plus positifs