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LA PLAIE OUVERTE

le pénible avertissement que je t’ai donné. J’aurais pu te le donner autrement, te préparer à entendre certaines révélations, les graduer. Mon excuse est que je te voyais courir un très grand danger. J’ai voulu t’en arracher tout de suite. Mais, encore une fois, je n’ai jamais douté que tu ne revinsses. Je te connais, mon ami, parce que je peux dire que, moralement, je t’ai fait. Tu es l’honneur même. Des hommes tels que toi, on peut les tromper, les égarer. On ne peut pas les pervertir… »

La physionomie de Lucien s’était assombrie à écouter cet éloge, derrière lequel il discernait la même sévérité de jugement à l’endroit de son amie, qui l’avait, quarante-huit heures auparavant, soulevé d’indignation. Cette fois, il eut la force de se dominer. Que voulait-il ? Que son beau-père fût contraint de rendre justice à Berthe au nom de ses propres principes. Il fallait donc engager une discussion d’idées. Les dernières phrases de Darras fournissaient une occasion que le jeune homme saisit vivement :

— « Ce que je suis, je te le dois, » répondit-il, « c’est vrai. Toutes mes convictions, c’est toi qui me les as données : la foi absolue dans la conscience d’abord et dans la justice ensuite, l’une créant l’autre. Qu’est-ce que la justice, sinon le respect religieux de la conscience individuelle ? Et, comme condition à l’une et à l’autre, le culte, le fanatisme de la vérité, quelle qu’elle soit. C’est ta doctrine et que je t’ai vu vivre. C’est la mienne et que j’espère bien vivre aussi, jusqu’au bout… Quand je t’ai quitté avant-hier après la scène que nous venons de rappeler, c’est cette doctrine qui m’a soutenu.