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UN DIVORCE

salon, donnait sur le cabinet de son beau-père. Quand la tapisserie qui servait de portière fut retombée derrière lui, une seconde, la mère eut la tentation de courir, de se jeter entre les deux hommes qui se revoyaient pour la première fois depuis le heurt terrible de l’avant-veille. Le discours que venait de lui tenir Lucien dénonçait un état d’esprit si absolument opposé à celui qu’Albert et elle avaient attendu ! Que Darras prononçât une parole imprudente, comme elle tout à l’heure, et Lucien se révolterait de nouveau, d’une façon peut-être irréparable… Elle écouta si un éclat de voix lui arrivait à travers la porte. Elle n’entendit aucun bruit. Son sens de femme lui fit se dire que sa présence risquait d’exaspérer l’orgueil irritable de son fils, et surtout de passionner un entretien qui devait rester dans le domaine des faits. Lucien ne se serait pas exprimé avec cette énergie s’il n’avait pas des preuves certaines, ou qu’il croyait telles, à l’appui de son opinion. Il les donnerait, et qui sait ? Peut-être avait-il raison. Peut-être Albert, si sincère, si scrupuleusement soumis à la vérité, serait-il convaincu… Qu’arriverait-il alors ? La crainte énoncée par lui, que Lucien ne pensât à épouser Mlle Planat, traversa tout d’un coup l’esprit de la mère. Elle eut, devant cette nouvelle menace du sort, à quelques pas de la pièce où son mari et son fils conféraient ensemble, — pour aboutir à quoi ? — un sentiment, exalté aussitôt jusqu’à la phobie, d’une fatalité acharnée sur elle. Son ménage était donc maudit, et quoique ses prières, multipliées depuis ces derniers jours, n’eussent écarté de sa tête aucun des dangers au-devant desquels elle s’était vu entraîner, elle se jeta à genoux, et elle