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UN DIVORCE

constater à quel degré sa place demeurait intacte dans l’affection de sa mère, malgré le second mariage. Pour elle, de son côté, il était de nouveau l’enfant qu’elle avait porté dans son sein, la chair de sa chair, son unique raison de vivre quand elle était si misérable, et elle l’embrassait parmi ses larmes en lui disant, avec la même appellation protectrice et caressante qu’alors :

— « Mon petit ! Je t’ai retrouvé !… C’est toi !… Pourquoi n’es-tu pas venu à ta mère tout de suite quand tu as souffert ?… Comment m’as-tu laissée sans m’écrire ?… J’ai été si tourmentée !… Mais tu es là. Tu ne me quitteras plus… Tu m’auras pour tout comprendre de toi, pour te plaindre, pour te consoler… Ne me parle pas maintenant. Reste la tête là, comme autrefois, quand tu avais une peine… » — Elle l’avait fait s’asseoir sur sa chaise longue, auprès d’elle, et elle le berçait doucement. Lucien avait été si ébranlé par les secousses de ces dernières heures, il était encore si blessé, même dans son espérance, qu’il s’abandonna un instant à cette douceur de se sentir aimé par cette mère, qu’il n’avait jamais connue uniquement à lui. Cette affection passionnée n’était-elle pas aussi une certitude qu’elle ne s’opposerait pas à un mariage où il trouverait le bonheur.

— « Non, maman… » finit-il par dire, « ne me plains pas. C’est vrai que j’ai été bien misérable avant-hier. Mon père, » — il avait été élevé à appeler Darras ainsi, — « mon père t’a tout raconté, n’est-ce pas ? »

— « Oui, » répondit-elle. Le ton de son fils, sérieux, presque solennel, ne ressemblait pas à la lamentation convulsive qu’elle attendait. Il avait