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LA PLAIE OUVERTE

fenêtre qui descendait de voiture. Il rentre. Il sait la vérité. Avais-je raison ?… »

— « Il rentre !… » répéta la mère en joignant les mains : « Ah ! merci, mon Dieu ! Merci à toi aussi, mon Albert ! »… Et elle serra son mari entre ses bras. L’incohérence de ses sentiments de catholique reprise par la foi et d’épouse toujours aimante ne se manifestait que trop par ces deux cris contradictoires, et tout de suite : — « Il faut qu’il me voie d’abord, qu’il ait pleuré sur mon cœur. Je te l’amènerai, et tu seras bon pour lui, tu lui pardonneras ?… »

— « Je n’ai rien à lui pardonner, » répondit Darras. « Il est malheureux, et c’est ton fils. Qu’il vienne chez moi quand il voudra. S’il souffre trop maintenant, garde-le. Je le verrai plus tard. Qu’il ne me parle de rien. Nous nous embrasserons, et cela sera fini. J’ai déjà tout oublié… »

— « Ah ! que je t’aime !… » dit Gabrielle. Puis, frissonnante, et étreignant son poignet : — « Écoute, j’entends son pas… Laisse-moi aller au-devant de lui… » Elle poussa son mari dans son cabinet de travail, — cette courte scène avait eu lieu dans le petit salon, — et elle ouvrit la porte qui donnait sur le vestibule. C’est là, debout, appuyée contre un des battants, que Lucien l’aperçut comme il débouchait de l’escalier. Il avait tant espéré que l’explication avec son beau-père précéderait celle-ci ! Mais de la voir lui apparaître, se soutenant à peine, le visage inondé de larmes, pâle des anxiétés éprouvées depuis ces deux jours, il eut le cœur renversé. Il se précipita vers elle, et ils s’embrassèrent avec une tendresse, qui, pour une minute, abolit tout. Lucien venait, pour la première fois depuis des années, de