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UN DIVORCE

parti pour un voyage d’enquête, il sera revenu avant vingt-quatre heures. »

Gabrielle Darras avait imploré si passionnément une pitié d’en haut durant sa visite à l’église, qu’elle avait voulu voir un signe d’exaucement dans le silence de son mari après son imprudente exclamation. Elle avait cru en reconnaître un autre, dans la nouvelle, rapportée par Darras plus tard, que Lucien ne s’était pas retiré chez Mlle Planat. Cette seconde journée s’était donc passée moins fiévreusement que la précédente à cause de cette légère reprise d’espérance. C’est une des illusions les plus habituelles aux âmes comme la sienne, déshabituées de la discipline chrétienne, de demander à la prière une efficacité immédiate et perpétuellement arbitraire. Elles ne se rendent pas compte, même dans leur plus sincère élan de retour, que certaines douleurs ne sauraient être écartées par aucune supplication, lorsqu’elles sont une rentrée dans l’ordre, cet ordre éternel, universel, nécessaire, auquel l’homme doit être ramené par le châtiment. Il est si rare qu’il y revienne par un repentir sans épreuves ! Gabrielle avait pourtant continué d’être bien tourmentée, au point qu’elle n’avait pas quitté sa maison de tout le jour, afin d’être sûrement là quand Lucien reparaîtrait. Suggestionnée par les assurances de son mari, elle avait considéré que la matinée du troisième jour serait le moment décisif, celui où le jeune homme, enfin éclairé par sa visite à Moret et peut-être à Clermont, arriverait se jeter dans les bras et sur le cœur de sa mère. Qu’on juge donc de son émotion, quand, vers les onze heures, son mari accourut dans sa chambre pour lui dire :

— « Lucien est là. Je viens de le voir par la