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UN DIVORCE

votre mari, et que vous appelez votre mari, alors que vous êtes réellement mariée à un autre. C’est un adultère pire, puisqu’il constitue en même temps un outrage public à Dieu… » — Oui, de quelle force elle s’était révoltée contre cet injuste anathème sur le moment, et encore aujourd’hui ! Qu’elle le reprît à son compte et pour elle seule, c’était la preuve que le grand travail ébauché dans sa conscience, pendant ces derniers mois, venait d’être activé d’une manière surprenante par ces quelques heures d’agonie maternelle. La vague et confuse appréhension d’une menace suspendue sur son coupable bonheur s’était changée en une vision épouvantée, presque hallucinatoire, de ce que l’indulgent Oratorien avait pourtant appelé lui-même l’action vengeresse de Dieu.

— « Mais il pardonne, ce Dieu qui punit ! » s’était-elle dit le lendemain matin, après une nuit consumée à prendre et à reprendre cette terrible idée : « Que va-t-il m’arriver dans mon fils ? » — « Le Père Euvrard l’a déclaré lui-même, il ne demande qu’à pardonner. C’est le Dieu vengeur, mais c’est le bon Dieu !… Je le prierai tant, qu’il m’épargnera, ou, sinon moi, ceux qui m’entourent et qui ne sont pas complices de ma faute. Lucien surtout n’y est pour rien… » Et, dans un élan de dévotion expiatrice, elle était allée avec sa fille entendre une messe. Plusieurs fois déjà, depuis que sa première communion approchait, Jeanne avait demandé à être conduite à l’église, le matin, pour assister à quelque office avec ses camarades de catéchisme. Mlle Schultze l’y avait toujours accompagnée, Mme Darras appréhendant quelque remarque de son mari sur son absence. Lorsqu’elle était revenue de Saint--