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UN DIVORCE

— « Il faut nous quitter, Lucien. C’est l’heure où je dois être à l’hôpital. J’ai besoin d’avoir un peu de paix après tant d’émotions. Je n’en ai jamais retrouvé qu’en m’assujettissant à ma tâche, bien modestement, bien régulièrement. Pour me maintenir en équilibre, j’ai besoin de faire toujours la même chose. Vous verrez. Je serai une femme bien monotone… mais bien heureuse, » ajouta-t-elle avec un sourire qu’il ne lui avait jamais vu.

— « Et moi, » avait-il répondu, « j’ai hâte d’avoir causé avec mon beau-père. L’idée que ma mère et lui vous méconnaissent m’est trop pénible maintenant. Il me semble que chaque minute de retard est un crime contre vous… »

— « Pourvu qu’ils vous croient !… » n’avait-elle pu s’empêcher d’ajouter, craintivement.

— « Ils me croiront », avait-il affirmé avec la conviction d’un dévot d’amour qui sent en lui la force d’avoir raison de tous les doutes. « Et aussitôt j’irai rue Racine, ou, si vous n’y êtes pas, chez vous… D’ici là, ayez confiance… » — Et il avait ajouté, avec la tendresse dont il débordait à cette minute, ces mots si simples, mais de lui à elle, c’avait été une caresse d’âme si douce, à croire qu’elle ne la supporterait pas : — « Adieu, ma chère fiancée… »


VI
la plaie ouverte

Dans cette conversation dont l’issue importait tant à l’avenir de son amour, Lucien n’avait pas raconté à Berthe le détail de ces fiévreuses trente--