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L’IMPASSE

l’avait combinée un désir de plaire et de garder son rang, trop naturel — la suite de cette histoire le démontrera — dans une situation anormale, cette coquetterie et cet orgueil appartenaient déjà au passé comme aussi les années de bonheur qui avaient pu seules lui conserver longtemps cette fleur de jeunesse dans son automne commençante. Le présent, c’était l’anxiété qui l’immobilisait sur le pavé de la vieille rue. C’était l’hésitation dernière avant une visite, peut-être irréparable pour son repos. C’était la détresse d’une agonie morale, arrivée à un période aigu, et qui, soudain, se résolut dans une détermination violente. Mme Darras esquissa un geste d’impatience révoltée ; elle se répéta à mi-voix, comme pour suggestionner sa défaillante énergie, ces mots de volonté :

— « Demain rien n’aura changé, rien, rien, rien… À quoi bon attendre ? »

Et, d’un pas devenu maintenant ferme, elle commença d’aller, la tête levée, regardant les numéros les uns après les autres jusqu’à celui de la maison qu’elle cherchait et dont la vétusté la fit de nouveau frissonner. Cette bâtisse, orientée vers le Nord et sinistrement humide, datait d’une époque où la rue, habitée longtemps par le fossoyeur de Saint-Sulpice, s’appelait encore rue des Fossoyeurs. Rien n’avait changé depuis cent ans dans cette construction, édifiée en deux fois, lors du Directoire, puis sous l’Empire, sur les débris de quelque jardin de couvent, par un de ces entrepreneurs au rabais qui foisonnèrent alors. Ils n’avaient à leur service, grâce à l’universel désarroi des guerres, que de mauvais apprentis sans