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FIANÇAILLES

visibles d’une ville ensevelie. Elle supporte la ville neuve. Ainsi les coutumes ancestrales doivent servir de substruction solide et durable à nos destinées, passagères. Le fils de la femme divorcée et l’étudiante anarchiste professaient précisément le principe contraire. Pourtant la réalité, cette grande redresseuse des sophismes et qui ne modèle pas ses lois éternelles sur nos raisonnements, contraignait ces deux âmes révolutionnaires à chercher leur point d’appui, en une heure de crise, dans un peu de vie traditionnelle, puisqu’ils discutaient le projet d’un mariage autre que l’Union libre. Ce mariage selon le Code, Lucien le voulait, — dernier repli de sa pensée qu’il n’osait pas explorer lui-même après ses affirmations, — pour estimer leur amour. Berthe lui en avait, sans se l’avouer non plus, une reconnaissance passionnée où réapparaissait la petite bourgeoise française qu’elle était vraiment au fond, et qu’une éducation à rebours de toutes ses hérédités avait paralysée sans la détruire. Quand elle se retourna vers cet ami si délicat, si généreux, pour lui répondre enfin, elle avait cédé dans son cœur. Pourtant un dernier scrupule lui fit dire encore :

— « Vous parlez comme s’il n’y avait que moi et que le monde, Lucien. Il y a votre famille. Je ne peux pas vous en séparer. Et, comment voulez-vous qu’elle m’admette jamais, quand vous savez ce que pense de moi votre beau-père ? »

— « Mon beau-père ?… » répondit le jeune homme, — et la rancune de la pénible discussion du Grand-Comptoir, l’avant-veille, grondait de nouveau dans sa voix. — « Non. Je ne crois pas que mon beau-père s’oppose à ce mariage, maintenant… Au cours