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UN DIVORCE

voulons exercer ? Et, si nous ne le voulons pas, de travailler dans un laboratoire ?… Il n’y a pas de difficulté de carrière pour un homme qui ne veut ni la fortune, ni les honneurs… Ne donnez pas ce motif à votre hésitation, Berthe, il me blesserait trop !… D’ailleurs, » — il s’arrêta une seconde comme si les mots qu’il allait prononcer remuaient en lui une fibre saignante, un éclair de sauvage souffrance passa dans son regard, et d’un accent changé, — « d’ailleurs », répéta-t-il, « me refuser, c’est vouloir que nous ne nous revoyions jamais… Oui, ou nous épouser ou nous quitter ; ou ma femme, ou rien… Ah ! ne comprenez-vous donc pas qu’il faut que votre vie avec moi, pour être possible, soit une nouvelle vie ?… »

Il n’en dit pas davantage. Méjan venait de reparaître entre eux. Berthe l’avait aussitôt traduite dans son sens véritable, cette dernière et obscure phrase. Elle signifiait : « Je ne peux pas vivre avec vous comme a vécu l’autre. » Cet inattendu et soudain rappel de l’odieux passé, — et dans quel moment ! — leur fut si pénible à l’un et à l’autre qu’ils demeurèrent quelques minutes sans parler, comme à leur arrivée : lui, tout ému des paroles qu’il venait de dire ; elle, plus vaincue encore de l’avoir revu souffrir et par elle… Et, brisée, elle sentait sa résistance s’en aller devant le dévouement passionné de son ami. Autour d’eux la brise du matin de mars continuait de courir, les oiseaux de chanter, le soleil de rayonner sur les Arènes. L’antique débris de la Lutèce romaine faisait un décor presque solennel à cet étrange débat entre deux enfants du vingtième siècle qui ne comprenaient pas la muette leçon émanée pour eux de ces décombres restés