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FIANÇAILLES

ses mains, « vous me tentez trop ! Vous m’offrez le bonheur !… Mais c’est un rêve !… » Et les joignant, ces tremblantes mains : — « Ce n’est pas à cause de moi, ce n’est pas à cause de l’enfant, que je ne dois pas vous épouser, c’est à cause de vous… La façon dont vous avez réagi vous-même, quand vous avez appris mon histoire, suffit à vous démontrer comment la société juge une fille qui a été mère hors du mariage. Votre amour, votre sens de la justice aussi, votre haute intelligence ont triomphé de cette impression. Le monde n’aura pas pour moi cette partialité. Il ne l’a pas eue. Il m’a déjà condamnée par mon oncle, par M. André, par votre beau-père. Sa réprobation retomberait sur vous, pour m’avoir donné votre nom. Vous verriez se dresser devant vous toutes les difficultés que rencontre un homme qui s’est mal marié… Il y a des misères que l’on brave, que l’on méprise d’un cœur léger, pour soi-même. On ne se pardonne pas de les infliger à un autre. Vous voir humilié pour moi me serait trop dur !… »

— « Est-ce bien vous qui me parlez ainsi ?… » s’écria-t-il. « Vous que j’ai toujours connue si hardie, si indépendante, si fière ? Que le monde se retourne contre nous, qu’il nous solidarise ! Soit ! Nous nous appuierons l’un contre l’autre et nous nous suffirons. À moi, du moins, vous suffirez. Le monde m’humilier ? Moi ? Je l’en défie… Avec nos ressources réunies, nous aurons l’indépendance. Vous savez que j’ai été de plus en plus tenté, ces mois-ci, par la médecine. Je me consacrerai tout entier à ces études. Nous ferons de la Science ensemble. Je vous répéterai vos propres paroles d’avant-hier : nous empêchera-t-on de soigner nos malades, si nous