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UN DIVORCE

non, Lucien, je ne dois pas être votre femme. Je ne dois pas vous épouser. C’est impossible… »

— « J’avais prévu vos objections, » dit-il. « Vous ne voulez pas mentir à votre pensée en abandonnant votre principe, celui de l’Union libre. Vous auriez raison, s’il s’agissait d’un mariage religieux. Celui-là dénature l’union des consciences telle que nous la comprenons, puisqu’il suppose un troisième élément, qui est Dieu. Le mariage civil, non. Il ne fait qu’enregistrer cette union. S’il n’y ajoute rien, il ne lui enlève rien. Le mariage civil n’est que l’Union libre, affirmée devant témoins… Se soumettre à une formalité purement extérieure, est-ce renier ses convictions ? »

— « Je n’en suis plus à ces intransigeances… » répliqua Berthe, en secouant la tête, avec accablement. « La force de la vie a été trop atteinte en moi. Je ne suis plus une révoltée. Je suis une résignée. Je suis prête à subir toutes les conventions sociales qui ne touchent pas au fond de la conscience, et, c’est vrai, cette banale cérémonie prescrite par le Code et que l’on appelle le mariage légal n’y touche pas. L’obstacle à ce mariage entre nous n’est pas là. L’obstacle, c’est que j’ai un enfant… »

— « Nous serons deux à l’aimer, » répondit-il. « J’ai voulu savoir si j’en aurais la force. C’est la raison de mon voyage à Moret, hier. Je sais que j’aurai cette force, à présent. Votre enfant n’est plus un obstacle. C’est une raison au contraire pour que vous acceptiez mon offre. Il lui faut un protecteur, un guide, » — il ajouta, et l’émotion dont le remplissaient ses propres paroles altéra ses traits, — « un père… Je le serai pour lui… »

— « Ah ! » gémit-elle en cachant son visage dans