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UN DIVORCE

imprudente, dangereuse pour vous. Le fait l’a prouvé. Moralement elle était de nature à servir de règle absolue, puisque l’Union libre, ainsi conçue, est vraiment le mariage idéal, celui qui ne relève que de la conscience individuelle dans ce qu’elle a de plus intime et de plus profond. Je voulais vous avoir dit et redit cela : que je vous estime, que je vous respecte autant que je vous aime… Me croyez-vous ? »

— « Je crois que vous avez senti combien j’étais sincère, » répondit-elle, « et que vous êtes très bon… J’avais tant renoncé depuis ces cinq ans à jamais être jugée de mon point de vue ! Je m’étais tant habituée à me considérer comme seule au monde, absolument seule de cœur et d’esprit !… Cela me change un peu trop, » continua-t-elle avec un sourire voisin de la souffrance, tant il était frémissant. « Il me sera doux de m’y habituer… J’ai été bien malheureuse d’avoir voulu vivre en dehors de toutes les conventions, et d’avoir vu que ma bonne foi ne servait qu’à me faire méconnaître. J’ai trouvé cela une grande injustice. J’en suis payée à cette minute, et avec usure… »

— « Non !… » dit-il vivement. « Vous n’en êtes pas payée, et il faut, » — il répéta ce mot avec une extrême énergie, — « il faut que vous le soyez. Ce que je pense, il faut que les autres le pensent ; ce que je sais, il faut qu’ils le sachent… Ecoutez, Berthe, » — et il eut dans la voix une supplication, — « ce que j’ai à vous demander va vous paraître bien étrange après ma déclaration de tout à l’heure. Pensant comme je pense maintenant sur le mariage, la logique exigerait que je vinsse vous dire : Vous êtes libre, je suis libre ; voulez-vous essayer de