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UN DIVORCE

— « J’ai voulu connaître votre enfant, » répondit-il ; « c’était une épreuve que je tenais à m’imposer avant de vous revoir… Oui, » insista-t-il, comme elle fixait sur lui des yeux où passait une interrogation : « quand on se prépare à prendre un engagement, il faut être bien sûr de le tenir, et, pour cela, bien sûr d’en avoir la force… J’ai trop constaté que je puis être si faible !… »

Il regardait la jeune fille à son tour. Elle tressaillit. Ce début énigmatique venait d’éveiller en elle une idée qui n’avait qu’à peine effleuré son esprit, depuis le commencement de leurs relations. Elle ne releva que l’allusion à la terrible scène de l’avant-veille, ce simple rappel lui avait fait si mal :

— « Ne vous reprochez rien, » dit-elle. « Toute la faute est à moi, qui aurais dû parler plus tôt.

— « Chère, chère amie !… » fit-il, en lui prenant la main, « vous avez eu peur de me faire souffrir… Écoutez-moi, » continua-t-il ; « ce que j’ai à vous dire est si grave pour moi, si grave aussi pour vous, puisque vous m’aimez !… Car vous m’aimez, je le sais, je le crois. Et moi, il faut que je vous répète, avec toute ma réflexion, en pleine maîtrise de mes mots et de mon cœur, ce que je vous ai confessé avant-hier dans des instants d’une véritable démence, moi aussi, je vous aime. Berthe, passionnément, uniquement… Je vous aime. Je le sais depuis longtemps. Combien et à quelle profondeur, je ne l’ai su qu’avant-hier aussi, pendant que vous me parliez, et ensuite durant ces heures que j’ai passées à reprendre une par une toutes vos paroles, à en épuiser tout le sens. Pas une d’elles que je n’aie pesée, mot pour mot ; pas un de vos senti-