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FIANÇAILLES

banc ménagé dans un des bosquets du jardin, et parmi les arbustes aux branches desquels pointait vaguement la poussée des premières feuilles. Le ciel tendu et voilé des journées précédentes s’était nettoyé de ses nuages. Le printemps riait déjà dans cet azur pâle et doux. Le soleil brillait sur les buis lustrés des massifs. La brise circulait, légère, presque tiède, dans les aiguilles des pins, dont les ramures toujours vertes alternaient avec la nudité bourgeonnante des arbres annuels. Cette impression du renouveau enveloppait les deux jeunes gens, les gagnait, amollissait leurs nerfs trop vibrants. Ils étaient venus bien des fois, à cette même place, l’été et l’automne derniers, causer, discuter, échanger ces propos d’abstruse philosophie, par lesquels ils avaient cru tromper l’irrésistible et naïf instinct du cœur. Que ce récent passé était loin, pour Berthe surtout qui n’était plus qu’une amoureuse suspendue aux gestes, au désir, à la volonté de celui qu’elle aime ! Car Lucien restait, et il allait le prouver, même dans cette crise de passion, l’intellectuel dressé à tout systématiser dans ses sentiments et dans ses actes. De tels caractères, et que cette discipline semblerait devoir préserver de l’impulsion, sont capables des plus extraordinaires à-coups de romanesque, quand leurs théories se trouvent correspondre aux mouvements irréfléchis de leur instinct et qu’ils donnent des raisons sublimes pour obéir tout naturellement à l’élan de leur désir :

— « Vous êtes allé à Moret, hier, Lucien, » dit Berthe, rompant la première ce silence chargé de trop de pensées. — « Je l’ai su. J’y suis allée aussi, après vous… »