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FIANÇAILLES

ce que j’ai à vous demander dépend toute ma vie, et je tremble. Votre ami : L… »

Ce petit square des Arènes où l’amoureux fixait ainsi leur rendez-vous est, à cette heure matinale, un des coins les plus solitaires de Paris. Il doit son nom à quelques degrés d’un cirque romain, dégagés par des fouilles récentes et fortement restaurés, autour desquels on a ménagé des pentes gazonnées et planté des arbres, le tout séparé par une grille de la rue de Navarre, baptisée ainsi depuis que la large artère de la rue Monge a coupé en deux la rue Rollin. Cette rue de Navarre est le second tronçon. Berthe Planat avait donc une bien petite distance à franchir pour aller de sa porte au square. Ces trois minutes lui parurent très longues cependant, lorsque, après une nuit passée à se débattre parmi des impressions trop contradictoires, elle s’achemina vers cet endroit perdu où se jouerait une scène nouvelle et décisive du drame de son sort. Jusque-là, même dans son engagement avec Méjan, elle l’avait conduit, ce sort, avec sa volonté. Elle avait pu se tromper de la manière la plus déplorable. Elle n’avait pas été entraînée. Elle l’était, en ce moment, et roulée, et noyée par une grande vague de passion, qui ne lui permettait plus d’y voir clair. C’était la revanche en elle de la femme sur la féministe, de la jeune fille sur l’étudiante, de la créature impulsive et tendre, incomplète et incertaine, dont la faiblesse réclame l’appui viril, sur l’orgueilleuse et la raisonneuse qui avait enfantinement rêvé de se tenir debout contre la société, par l’unique force de l’acte individuel. Lorsque, après avoir traversé la rue Monge, elle aperçut