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UN DIVORCE

l’enfant, qui distrayait leur solitude, et sa petite pension augmentait un peu leur budget. Elle les trouva, cette après-midi, qui s’occupaient, l’homme à ses légumes, la femme à des savonnages, tandis que Claude jouait dans l’allée avec un énorme chien de garde qui se laissait taquiner complaisamment. Les rires du garçonnet, ses cheveux blonds, mêlés aux soies fauves de la bête, la souplesse docile de celle-ci et l’agilité de son innocent tourmenteur, formaient un tableautin tout posé d’intimité domestique qui contrastait trop avec la scène traversée la veille par la mère. Le bondissement de l’enfant vers elle et la joie de ses yeux bleus, cruellement pareils aux yeux de l’infâme Méjan, l’éclat insoucieux de ses cris achevèrent de l’accabler d’une mélancolie qui se changea soudain en une émotion intense, à écouter Mme Bonnet lui dire, avec l’expression dans la voix et dans la physionomie d’une femme qui ne peut plus dominer sa curiosité :

— « Claude a été gâté aujourd’hui. Un ami de Madame est venu le voir ce matin. »

— « Un ami ? » interrogea-t-elle.

— « Un M. de Chambault… » fit le mari à son tour. — Le flot de pourpre monté aux joues de la jeune fille acheva de persuader à l’ancien valet de chambre qu’ils avaient deviné juste, sa femme et lui. Ce visiteur était le père. — « Il nous a donné son nom et nous a dit qu’il venait de la part de Mme Planat. Nous n’avons pas cru devoir lui refuser d’embrasser l’enfant… »

— « Et c’est qu’il l’a embrassé… » insista la femme. « Ah ! il l’aime bien. Il en avait les larmes aux yeux… »