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UN DIVORCE

danger suspendu sur ce qu’il aime, il l’aperçoit, il le crée, ce danger, au plus vague, au plus fugitif indice ! Cette démarche était une visite à Moret. Si Berthe quittait Paris le lendemain, — il n’était déjà plus question de départ le jour même, — elle avait besoin de s’entendre avec les personnes à qui était confié son fils. Elle faisait cette excursion d’habitude tous les dimanches, et, depuis qu’elle fréquentait Lucien, chacune de ces absences avait été pour elle un supplice. Leur existence étant presque commune, le jeune homme pouvait s’étonner de la voir disparaître une après-midi par semaine, régulièrement. Il lui fallait prendre un train à deux heures pour être à Moret à quatre, et rentrer à huit. En outre, et c’était un signe, après tant d’autres. de l’erreur sur laquelle sa jeunesse avait vécu, ses visites au petit Claude ne lui représentaient que de l’amertume. La maternité, associée au souvenir méprisé du séducteur par qui elle avait conçu, faisait plaie dans ce cœur si fier. L’animalisme de l’instinct ne suffit pas plus aux créatures affinées comme elle, dans les relations de mère à enfant, que dans les rapports de femme à homme. Elles ont besoin d’un enrichissement, d’une culture autour de ces sensations primitives, d’un ennoblissement aussi, qu’elles ne trouvent que dans la famille. Sans la famille, une femme n’est pas complètement mère, et il n’y a pas de famille hors de certaines conditions inhérentes à la nature même. Elles ne dépendent ni des Codes écrits, ni des fantaisies de nos intelligences. Elles existent hors de nous, et, si nous les méconnaissons, contre nous. Berthe les avait méconnues. C’est pour cela qu’elle n’arrivait pas à se complaire dans ce fils qu’elle