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FIANÇAILLES

rance que Lucien serait venu là, reprendre cet entretien dont elle tremblait maintenant qu’il n’eût été réellement le dernier. Lucien n’était pas venu ! Et voici que, rentrée à la maison de la rue Rollin pour savoir si aucune lettre n’était arrivée durant son absence, sa concierge lui apprit qu’un visiteur s’était présenté ce matin pour demander si M. de Chambault n’était pas installé chez elle :

— « Un monsieur de cinquante ans, tout gris, l’air très comme il faut, avec une rosette… »

— « C’est le beau-père, » se dit Berthe sur ce signalement. « Il est venu le chercher ici… Lucien n’est donc pas rentré ?… » L’éclair d’un instant, cette absence de la maison maternelle parut à la malheureuse une preuve sans réplique. Ce sens du fait dont elle était si reconnaissante à ses études lui permit pourtant d’opposer cette objection : — « C’est à sa mère surtout que Lucien aurait écrit… Il ne s’est pas tué… Il souffre. Il n’a pas voulu revoir son beau-père, parce qu’il ne peut pas me défendre auprès de lui. Il est caché quelque part à se dévorer le cœur. Demain, après-demain, il reparaîtra… Il faut que je sois partie. »

Cette volonté, comme automatiquement persistante à travers ces cruelles agitations, détermina la jeune fille, dans l’après-midi, à une démarche bien simple. Elle devait y trouver, à sa grande surprise, une raison impérieuse de ne pas s’en aller et la preuve saisissante que sa terreur de la matinée avait été une de ces demi-hallucinations familières à l’amour. Il est si voisin de la démence quand il craint ! Incapable de supporter l’idée du moindre