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UN DIVORCE

cette réponse sur cette bouche tremblante, plutôt qu’il ne l’entendit. Lui-même, son cœur battait par secousses si fortes que le souffle lui manquait pour parler. Il restait à genoux et il regardait ce délicieux visage autour duquel ses rêves avaient tant erré, ces joues amaigries dont la ligne trop fine l’avait si souvent inquiété, ce front qu’il avait vu si souvent se pencher sur des livres austères tels que ceux qui chargeaient encore la table à quelques pas d’eux et où elle trouvait l’oubli, ces lèvres si joliment découpées, celle de dessous un peu renflée. Elles venaient, après s’être ouvertes tant de fois pour des phrases d’une sévérité qui contrastait avec leur grâce, de jeter d’abord les cris les plus douloureux, puis le soupir le plus doux, le plus abandonné où une âme de femme puisse épancher son secret… Endolori encore des instants atroces qu’il venait de traverser, le jeune homme avait la sensation de perdre pied dans une ivresse où tout s’abolissait, excepté lui et elle, elle et lui, excepté cette fragile enfant dont il entendait la respiration émue et l’extase passionnée où elle le jetait, excepté ces yeux et son amour. Ils étaient si beaux, ces yeux, si lassés, si tristes, qu’il se pencha sans y réfléchir pour les fermer d’une caresse. Il posa un baiser sur leurs paupières palpitantes. Son trouble grandit encore et sa bouche chercha la bouche de la jeune fille. À ce contact, à peine effleuré pourtant, elle jeta un cri. Elle se redressa d’un coup, avec une terreur empreinte sur tous ses traits. Elle n’eut pas à le repousser. Il s’était relevé, lui aussi, devenu pâle à son tour. La même pensée avait surgi en eux. Ils se regardèrent un instant sans se parler, mais sachant si