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LA VÉRITÉ

Quand il eut la main sur la poignée de la serrure, il demeura immobile quelques secondes, puis, se retournant et revenant vers elle : — « Je ne peux pas, » fit-il, « vous quitter ainsi, m’en aller sur les paroles que vous venez de prononcer et qui signifient que vous considérez notre intimité comme finie. Non ! Je ne peux pas… » Il eut de nouveau une seconde d’hésitation, et lui prenant une main qu’elle n’eut pas la force de retirer, il dit d’une voix où frémissaient toute sa passion et toute sa tristesse : — « Je ne peux pas, Berthe, parce que je vous aime… »

Elle l’avait écouté, la tête penchée, le regard fixe. Ses prunelles tout d’un coup s’éteignirent, une pâleur profonde envahit son visage dont les traits se décomposèrent. Il sentit la petite main fiévreuse se glacer dans la sienne. Il n’eut que le temps de la prendre dans ses bras pour la soutenir. Elle défaillait, en proie à une syncope qui dénonçait l’intensité de son émotion, et son propre amour, plus certainement qu’un aveu. Le jeune homme la porta sur l’étroite banquette houssée, et, agenouillé devant elle, il commença de l’appeler par son nom avec une épouvante qui se changea en un attendrissement passionné, quand elle rouvrit les yeux, et que, l’ayant regardé, au lieu de retirer sa tête qu’il soutenait du bras, elle la rapprocha de son épaule, comme pour y chercher un appui, un asile, une protection.

— « Berthe, » osa-t-il implorer, « cette minute est solennelle. Si vous m’aimez, vous aussi, dites-le-moi… M’aimez-vous ? » répéta-t-il… « M’aimez-vous ?… »

— « Oui, » dit-elle, d’une voix si faible qu’il lut