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LA VÉRITÉ

qu’elle disait, avec cette bonne foi dans l’égarement, il n’en doutait pas, et cette évidence faisait tourner son indignation de tout à l’heure en une tristesse accablée qu’augmentait chacun des détails rapportés par l’étudiante. Tandis qu’elle parlait, il la voyait telle qu’elle avait été dans son étroit milieu de province, entre ses deux éducateurs s’enivrant de théories trop fortes pour elle, et si jeune, si intacte, ayant déjà son beau regard enthousiaste, sans l’arrière-fonds de tristesse qu’il lui avait toujours connu et qu’il s’expliquait maintenant. Il voyait son arrivée à Paris et ses premières détresses. Ah ! s’il l’avait rencontrée alors, au lieu du libertin dont il devinait trop bien l’abominable manège, cette séduction exercée, sur une orpheline sans défense, au moyen de cette exaltation d’idées qui aurait dû la rendre sacrée, comme il l’aurait, lui, protégée, garantie, soutenue ! Toutes sortes de nuances, qu’il avait senties sans les bien comprendre, s’éclairaient pour lui dans ce caractère : l’âpreté, par exemple, qu’elle mettait à ses études médicales, et à leurs plus sèches, à leurs plus dures parties. Elle y fuyait ses anciens goûts, et qui l’avaient tant trahie, pour l’éloquence, pour la littérature et leurs funestes prestiges. Et l’ensemble faisait un épisode d’une existence de femme tellement lamentable, le contraste était si brutal entre la chimère de ses utopies et la misère où elle avait échoué, qu’il en avait le cœur transpercé. Elle n’avait pas besoin de le mettre au défi de ne plus lui parler comme il avait fait. Il la plaignait trop, et à cet : « osez donc le dire, » répété avec cette passion emportée jusqu’à la fureur, ce fut d’un accent vaincu qu’il répondit :