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LA VÉRITÉ

justice que toute législation serait inutile. Il nous montrait l’esprit affranchi par la science et par la destruction des dogmes, la misère guérie par la suppression de la propriété, la solidarité universelle substituée à l’égoïsme étroit de la patrie, les vilenies du trafic matrimonial remplacées par la sincérité de l’union libre… Mon malheur a commencé dans ce petit appartement de la rue de l’Éclache où j’ai grandi et où cet hypocrite dissertait ainsi. J’ai cru en lui parce que je croyais à ces généreuses idées ! Ai-je été coupable ? Répondez… »

Et, sans l’attendre, cette réponse, tant le besoin la dominait d’aller jusqu’au bout de cette confidence et d’en être délivrée, elle continua d’une voix qui, de nouveau, se voilait un peu : — « Quand j’ai quitté Clermont pourtant, il n’y avait rien entre cet homme et moi, que mon admiration et son cabotinage. Ceux qui ont dit que je suis venue à Paris pour le suivre, ont menti. J’y suis venue pour y faire mon droit, parce que je voulais être avocat, et plus tard écrire. J’avais une autre raison. Je la dirai. Je dis tout, moi aussi, comme vous. Mon oncle avait vécu, mon enfance durant, avec une servante maîtresse. Il l’avait épousée. Cette femme ne m’avait pas aimée, toute petite ; maintenant, elle me haïssait. Paris, c’était la clôture définitive de scènes domestiques extrêmement pénibles. D’ailleurs j’étais émancipée, j’avais ma petite fortune à moi, et une telle confiance dans la vie !… Le hasard d’un héritage voulut que Méjan vînt s’installer au Quartier Latin, peu de semaines après moi, pour y faire son droit aussi et entrer dans la politique. Nous nous retrouvâmes… Il s’occupa de moi. J’étais si seule, si dépaysée dans