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LA VÉRITÉ

mariage consiste dans la libre union de deux êtres qui associent leurs destinées par leur choix personnel, sans d’autres témoins de cette promesse que leurs consciences. J’ai pensé et je pense encore qu’une femme ne perd pas plus l’honneur pour avoir contracté un tel lien, et s’être trompée, que si elle avait épousé à l’église et à la mairie un misérable qui l’eût trahie et abandonnée ensuite. Voilà pourquoi je peux pleurer des larmes de sang, quand je me souviens de l’homme que vous avez nommé tout à l’heure et qui m’a indignement abusée. Ce ne sont pas des larmes de remords. Je n’ai pas à avoir de remords et je n’en ai pas… Je n’en ai pas… Laissez-moi continuer, » insista-t-elle, comme il esquissait un geste de protestation. « C’est sans doute le dernier entretien que nous aurons eu ensemble ; je veux du moins que vous me jugiez sur ce qui fut, et tel que ce fut… Quand j’ai connu M. Méjan, » — elle ferma de nouveau les yeux pour prononcer ce nom, comme tout à l’heure pour l’entendre, par excès de souffrance ; — « c’était à Clermont, où il préparait sa licence de philosophie… Je l’ai rencontré chez M. André. Je ne me cherche pas d’excuse. Se tromper sur le caractère de quelqu’un, c’est comme une erreur dans un diagnostic. On n’en est pas responsable. Mais j’ai le droit de dire que, si j’ai été trompée par lui, M. André l’a été aussi, et il avait quatre-vingts ans, et c’était un vieil universitaire qui avait eu des milliers de jeunes gens entre les mains. Mon oncle l’a été, et c’était un ancien greffier de tribunal, qui n’était pas suspect d’optimisme… Aujourd’hui que mes études médicales m’ont donné le sens du fait, je comprends ce que je n’ai