Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/133

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
119
LA VÉRITÉ

agi comme j’ai agi. J’en avais le droit, et j’ai conscience de n’avoir manqué à rien de ce que je me devais à moi-même. Mais, c’est vrai, j’aurais dû vous dire ce que je vous dis aujourd’hui, dès le premier jour où a commencé notre amitié… J’ai reculé… Pas devant mes actes. Non, pas devant mes actes… »

— « Pourquoi n’avez-vous pas continué à vous taire, alors ? » s’écria-t-il douloureusement. « Ah ! il fallait avoir la charité de prolonger cette illusion, puisque vous l’aviez créée… Ainsi, tout ce que j’ai cru de vous était un mensonge ? Tout ce que je vous ai voué d’admiration, de respect, de culte, une folie ?… Vous avez eu un amant ?… » Il répéta avec plus de rage encore : « Un amant !… Que cette idée me fait de mal, qu’elle me fait de mal !… Pourquoi n’avez-vous pas nié, là, contre l’évidence ?… Je n’aurais pas douté de votre parole. Au lieu que, demain, après-demain, toujours, il faudra me dire que vous avez été la maîtresse de cet homme… En qui aurai-je jamais foi maintenant ? En qui ? En qui ? J’ai tant cru en vous !… »

— « Taisez-vous, Lucien… » l’interrompit-elle en marchant sur lui et lui saisissant le bras. « Je vous défends de me parler ainsi, » — et une telle expression de révolte indignée émanait d’elle, qu’il lui obéit instinctivement, quoique la jalousie lui tordît le cœur ; et il l’écouta en silence continuer : — « Vous n’en avez pas le droit, vous qui me voyez vivre, depuis tant de jours, qui me voyez penser, travailler, sentir. M’avez-vous connu une coquetterie ? Non. Ai-je prononcé une parole, ai-je fait un geste qui ait manqué vis-à-vis de vous au pacte de camaraderie, d’un compagnonnage