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UN DIVORCE

quand Lucien s’arrêta de parler sur sa menace à son beau-père, fut-elle comme un geste pour repousser cette protection et revendiquer une pleine responsabilité. Elle entendait n’être ni excusée, ni pardonnée :

— « Je vous remercie de l’amitié que vous me témoignez », dit-elle, « mais je ne saurais partager votre indignation contre votre beau-père. Il ne me connaît pas, et on lui a dénoncé des faits qu’il a pu très légitimement traduire comme il les a traduits. Votre sincérité vis-à-vis de moi m’impose une franchise semblable. Il y a un de ces faits qui n’est pas exact : quand j’ai quitté Clermont, M. Méjan n’était pas mon amant. En revanche, il est parfaitement vrai que j’ai vécu avec lui à Paris dans ma première année d’études ; parfaitement vrai que j’ai eu un enfant ; parfaitement vrai que j’avais commencé le droit et que je me suis décidée à faire ma médecine en grande partie pour renouveler toute mon existence. Sur ces trois points, votre beau-père a été bien renseigné. »

— « Vous !… Vous !… » Ce simple monosyllabe, jeté avec un accent d’agonie, fut l’unique réponse que cette confession, terrible dans sa brièveté, arracha aux lèvres du jeune homme. Sa physionomie exprimait une stupeur voisine de la démence. Les larmes étaient séchées dans ses prunelles. Il avait reculé comme pour fuir une vision d’épouvante. Il répéta, plus bas encore, dans un cri rauque : — « Vous avez fait cela ? Vous ! vous !… »

— « Oui, moi !… » répliqua-t-elle, le front haut, les bras croisés dans une attitude altière. « Et si je me reproche quelque chose, ce n’est pas d’avoir