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LA VÉRITÉ

heures… Comment a-t-il appris que nous nous voyions beaucoup ? Je n’en sais rien. Je n’ai jamais parlé de vous, à la maison, ni ailleurs. Mais il l’a appris. Nos relations l’ont inquiété… De cela, je ne peux pas lui en vouloir. Ce dont je lui en voudrai, tant que je vivrai, c’est d’avoir livré votre nom à un agent interlope qui lui a rapporté ces turpitudes, après quelles basses recherches, et auprès de qui ?… Puisque vous soupçonnez quelqu’un, dites-moi son nom, que nous y allions ensemble, ou moi tout seul, comme votre ami… Si nous ne trouvons rien de ce côté, je trouverai d’un autre. Je saurai quel est cet agent. Je le forcerai de m’avouer où il a ramassé cette boue, pour vous en salir… Tous les moyens me seront bons. Mais je veux que justice vous ait été rendue, je veux que mon beau-père m’ait dit : « Je demande pardon à Mlle Planat de ce que j’ai répété sur elle… » Je ne le reverrai pas auparavant… »

Berthe avait tenu ses paupières abaissées sur ses prunelles pour ne pas voir Lucien lui parler ainsi, — recevant en plein cœur ces paroles meurtrières, le sentant souffrir, suppliciée par les souvenirs qu’il évoquait et qui venaient l’atteindre jusque dans la chair de sa chair. La femme amoureuse, en elle, était attendrie et désespérée tout ensemble par cette confiance exaltée, preuve saisissante d’une passion que le soupçon n’avait pas effleurée ; mais une autre impression dominait, celle de la libertaire aheurtée de plus en plus dans sa révolte contre le préjugé social si violemment empreint dans les paroles mêmes par lesquelles cet homme, qui l’aimait autant qu’elle l’aimait, refusait de la croire coupable. Aussi la première phrase qu’elle prononça,