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LA VÉRITÉ

vait ! Pas de doute. C’était Méjan qui avait parlé, ou fait parler à Lucien. Cette image fit bien du mal à Berthe, et cependant la certitude lui procurait un soulagement, comme au patient de l’hôpital, dont elle avait admiré la phrase, et ce fut avec un calme de martyre, mais avec un calme tout de même, qu’elle continua : — « Je ne connais qu’une personne à qui je puisse vraiment donner ce nom d’ennemi. Encore est-ce moi qui devrais bien plutôt être son ennemie. Mais, quand on méprise trop, on cesse de haïr. Pourquoi cette question ?… »

— « Parce que je viens d’apprendre que vous êtes l’objet d’une abominable calomnie…, » répondit Lucien. « Elle émane probablement de cette personne. Il faut le savoir. C’est une infamie et qui pèserait sur tout votre avenir, si nous n’agissions pas tout de suite. »

— « Que peut-on me faire ?… » répliqua-t-elle, en haussant ses minces épaules ; et dans ses prunelles commençait de briller l’éclair d’une fierté qui allait grandir jusqu’à la révolte. « Ce que la personne dont il s’agit peut dire ou penser de moi m’est indifférent. Elle ne m’empêchera ni de passer mes examens, ni de gagner ma vie en soignant des malades, quand je serai docteur. C’est tout ce que je demande à la société ; quant à mes amis, qu’ils me regardent vivre et qu’ils me jugent ! »

— « C’est précisément parce qu’ils vous jugent, » s’écria le jeune homme, « et parce qu’ils savent qui vous êtes qu’ils ne veulent pas, qu’ils ne peuvent pas supporter ces infamies que vous méprisez, vous leur devez de les aider à les confondre, si ce n’est pas pour vous, pour eux… Souffririez-vous que l’on insinuât devant vous que, moi, j’aie volé ?…