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LA VÉRITÉ

d’une confidence dont elle avait pourtant éprouvé le quotidien besoin. Elle avait endormi sa conscience, qui lui faisait, d’après ses théories, un impérieux devoir de la vérité, en se promettant de parler le jour où Lucien oserait lui déclarer un amour qu’elle voyait distinctement sous toutes ses timidités. Tant qu’il continuerait de s’en taire, et que leurs rapports en resteraient à cette amitié intellectuelle si douce qu’elle n’arrivait pas à y renoncer, pourquoi mêler à ce rêve vécu les cruelles réalités dont elle avait tant souffert ? Elle ne se disait pas : « Pourquoi le désenchanter ? » En dépit d’elle-même, elle le pensait. Elle pensait surtout qu’il souffrirait, et cette pitié pour le chagrin qu’il ressentirait à cause d’elle lui avait scellé les lèvres plus encore que la crainte d’être moins estimée. Maintenant, voici qu’il était là, devant elle, et dévoré, déchiré par ce chagrin. Un autre n’avait pas hésité à l’infliger au jeune homme, en lui révélant le secret qu’elle n’avait pas osé avouer, qu’elle était bien décidée cependant à ne pas défendre, si réellement Lucien le soupçonnait. Les larmes du jeune homme le disaient trop : il ne soupçonnait pas ; il savait, mais sans croire. Sa première parole, quand il eut enfin repris assez d’énergie pour articuler ses phrases, exprima cette révolte contre l’accusation, — révolte dont Berthe n’eut pas une seconde l’idée de bénéficier. Ce détail caractérisera, mieux que de longues analyses, la droiture foncière de cette fille, victime du pire sophisme qui flotte dans l’atmosphère empoisonnée du vingtième siècle commençant ; mais la dépravation de son intelligence n’avait pas gagné sa sensibilité.

— « Vous m’excuserez, » finit-il par dire, en