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UN DIVORCE

ne correspondait à rien de vil, à rien de bas. C’avait été l’erreur déplorable, mais généreuse, d’une confiance follement accordée et indignement trahie. Que de fois, au cours de ces causeries de plus en plus intimes, quoique toujours intellectuelles, où elle s’était tant complu, la tentation l’avait saisie de dire, la première, à son cher et tendre ami cette douloureuse histoire ! Puis, elle avait été retenue par une pudeur plus forte que tous les raisonnements par lesquels elle se démontrait à elle-même qu’en se donnant à Méjan elle n’avait pas fait le mal. Les déductions les mieux conduites n’arrivent pas à détruire entièrement l’évidence immanente de certaines lois inscrites par la nature dans les plus secrètes profondeurs de notre personne morale. Un père peut nier la famille : son fils ne sera jamais pour lui un homme pareil aux autres hommes. Un cosmopolite peut nier la patrie : les horizons de son enfance ne ressembleront jamais pour lui aux autres horizons. Pareillement, une jeune fille peut avoir reçu l’éducation la plus infectée d’idées révolutionnaires, — c’était le cas de Berthe Planat, — s’être intoxiquée des pires paradoxes, avoir cru à l’égalité absolue des sexes, professé le mépris des conventions sociales et en particulier du mariage, proclamé et pratiqué, hélas ! dans des conditions qui l’excusaient presque, le droit à l’union libre : il suffit qu’un amour sincère s’éveille en elle. De s’être donnée sans sacrement et sans contrat lui fait une honte irraisonnée et invincible, comme un instinct. Berthe n’avait pas voulu admettre en elle ce sentiment. Elle n’avait pas cessé de le subir. La preuve en était cette éternelle temporisation, cette quotidienne remise au lendemain