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BERTHE PLANAT

quille audace de cette intelligence de femme qui, sur ces deux points, comme en morale, le dépassait singulièrement. Dans sa persuasion que la biologie, encore à ses débuts, arriverait à renouveler le plan total de l’existence humaine, Berthe professait un nihilisme systématique à l’égard de toutes les institutions du passé et aussi du présent, qui enveloppait dans une même condamnation le catholicisme par exemple et le kantisme, la monarchie traditionnelle et la république. Le jeune homme avait subi la fascination de cette hardie pensée qui poussait à leur extrémité les principes qu’il avait reçus. En se comparant mentalement à son amie, il avait senti qu’il n’était, comme son beau-père, qu’un bourgeois pénétré encore des préjugés de sa classe. Il avait admiré la fermeté d’intelligence de l’étudiante comme il admirait la fermeté d’âme qu’elle déployait à conduire sa vie, ne perdant pas une minute et ne dépensant pas cinq centimes inutilement. Elle avait hérité une petite somme de trente-cinq mille francs, sur laquelle elle prélevait deux mille quatre cents francs, de manière à conserver de quoi s’établir à la fin de ses études. C’était une confidence qu’elle avait faite dernièrement à Lucien. Ses repas à vingt-deux sous mettaient sa nourriture à moins de soixante-dix francs par mois. Six cents francs d’entretien, deux cents francs de livres, deux cents francs d’examen achevaient l’essentiel de ce budget. C’est à cause de cela qu’elle avait choisi cette chambre de la rue Rollin, dont le modeste loyer s’accordait avec le reste de ses dépenses.

La rue Rollin ! Elle était toute voisine maintenant, car le fiacre avait marché durant cette crise