Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
UN DIVORCE

avancée, ils s’étaient promenés indéfiniment, occupés à discuter quelques-unes des idées auxquelles ils tenaient le plus l’un et l’autre, — lui la théorie de la conscience individuelle considérée comme la règle suprême, — elle la conception d’une morale fondée uniquement sur les faits et qui ne serait qu’une biologie appliquée. Les deux tendances, différentes jusqu’à en être opposées, qui se partagent aujourd’hui la jeunesse et dont le conflit éclatera quelque jour, se trouvaient ainsi incarnées en eux, et cette discussion était pour Lucien la découverte d’un univers intellectuel en même temps qu’il éprouvait une si étrange volupté à entendre les plus récentes hypothèses sur la vie exposées par cette bouche aux lèvres de fleur… Devant le Collège de France, et au bas des marches qui montent vers la statue de Claude Bernard, — il se souvenait, c’était vers le début de l’automne, — elle lui avait un jour raconté l’histoire de ses idées. Elle lui avait dit que trois hommes avaient eu sur elle une influence décisive : Claude Bernard avec sa Médecine expérimentale, et, avant lui, Flaubert et Dostoïewsky. À l’un de ces deux romanciers elle avait pris son goût de voir la vie dans sa vérité, à l’autre son sens aigu de la misère humaine. De Bernard elle avait admiré la méthode. À ce propos, elle avait parlé de son éducation, à Thiers d’abord, puis à Clermont, auprès de son oncle et sous la direction d’un vieil universitaire retraité qui l’avait prise en affection, un M. André. Lucien lui avait parlé, lui, de son beau-père… Là, sur la place du Panthéon, un autre jour, et à l’occasion du culte des grands hommes, ils avaient discuté religion et politique, et il était demeuré étonné de la tran-