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BERTHE PLANAT

quand l’autre était là. Pas une de ces inclinations de la petite tête pensive, que Lucien n’eût interprétée, tantôt, avec une joie exaltée, dans un sens de sympathie, — tantôt, avec angoisse, dans un sens d’indifférence. C’avait été ensuite leur second entretien, pas beaucoup de jours après le premier. L’amoureux avait imaginé, pour l’engager, un procédé qui symbolisait bien le paradoxe de cet amour, fleur de songe soudain poussée entre ces deux cérébraux, parmi ces livres de science. Il avait demandé à la jeune fille, au moment où elle se levait pour sortir, si elle pourrait lui rendre le service de lui traduire dans leur vrai sens deux mots techniques qu’il ne comprenait pas, et il lui avait soumis, — ô ironie ! — une phrase rencontrée dans cet énorme traité de Le grand du Saulle qu’il faisait semblant de dépouiller, sur les maladies latentes et les maladies larvées. Le temps de formuler sa demande et ils étaient dans la rue. Berthe marchait en lui répondant, et, tout naturellement, il l’accompagnait :

— « Latente se comprend de soi, » avait-elle dit ; « une maladie latente est une maladie qui ne se manifeste pas encore. Une maladie larvée, au contraire, se manifeste hautement, mais elle emprunte la forme d’une autre. Ainsi une goutte qui se manifeste par des vertiges est une goutte larvée, qui se déguise, quae induit larvam. Larva, vous vous le rappelez, c’est le masque de théâtre dans l’antiquité… »

— « Je l’avais oublié, je vous l’avoue… » avait-il répliqué, et, presque étourdiment : « Vous savez le latin, mademoiselle ?… »

— « J’ai passé mon baccalauréat, » avait-elle répondu.