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UN DIVORCE

et d’être aimé. Il éprouve à palpiter dans l’attente, à reculer l’heure des paroles décisives, à prolonger les délices du rêve et de l’espérance, cette sensation qui fait le charme unique des fiançailles, et c’était bien comme une fiancée que Lucien avait aimé Berthe dans le silence d’une adoration chaque jour plus émue, depuis ce soir de printemps. Ce soir-là, il n’avait pas essayé d’en apprendre plus long sur elle, d’interroger par exemple le concierge de la maison. Une pareille enquête lui aurait semblé un sacrilège. En eût-il eu seulement la force ? Pour les amoureux de cette ferveur, prononcer devant une tierce personne le nom de celle qu’ils aiment est une véritable souffrance. La voix leur manque pour parler d’elle. À quoi bon d’ailleurs ? Que lui aurait-on dit qu’il ne connût d’avance ? La vie étroite de la jeune fille, son assiduité au travail, l’idéalisme de ses pensées, il savait cela par l’aspect de cette demeure, par son attitude au cabinet de lecture, par les lignes qu’elle avait notées dans Trousseau. Dès ce premier soir, il lui voyait, par intuition, toutes les qualités d’âme qu’il avait trouvées chez elle, à l’épreuve, durant les dix mois écoulés depuis, et ils les avaient vécus dans cette liberté où il n’y a pas de place pour le mystère. Le seul fait que leur intimité fût restée absolument pure n’était-il pas le plus éclatant témoignage de la valeur morale de la jeune fille ? Et les scènes par lesquelles cette intimité s’était établie ressuscitaient devant la pensée de Lucien, toutes distinctes… C’avait été d’abord, après leur premier entretien, l’habitude prise d’un salut échangé au cabinet de lecture, à chaque arrivée et à chaque départ de l’un d’eux,