Page:Paul Bourget – Un divorce.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
93
BERTHE PLANAT

un peu hautes et fines, une pose du pied droite et légère. Que lui dire ? Comment ne pas craindre d’exorciser d’un mot le charme de cette minute inespérée ? Et déjà ils avaient pénétré dans la cour, gravi ensemble le grand escalier. Ils étaient dans la bibliothèque. Là il avait enfin appris le nom et l’adresse de l’inconnue, Berthe Planat ayant dû montrer à l’entrée sa carte d’étudiante, en même temps qu’elle présentait son compagnon. Une fois admis, elle l’avait quitté, en le saluant d’un signe de tête, et elle était allée s’asseoir à l’une des tables, où elle s’était installée comme elle faisait au cabinet de lecture, avec son impressionnante simplicité d’appliquée chercheuse. Lucien n’avait pas osé, lui, se mettre auprès d’elle. Il avait demandé un volume pour la forme, l’avait à peine ouvert ; puis, la voyant absorbée dans son travail, il était sorti de la bibliothèque. Il s’était acheminé vers la rue Rollin, où il savait maintenant qu’elle habitait, poussé par un irrésistible besoin de voir sa maison, de regarder de ses yeux le décor des choses parmi lesquelles elle vivait. Par ces premiers jours de mai, ces pentes de la Montagne Sainte-Geneviève sont comme parcourues d’un souffle de jeunesse insouciante et de libre amour. Il était cinq heures. L’azur du ciel enveloppait le dôme du Panthéon et sa colonnade grise d’une clarté fraîche et douce. Les feuilles verdoyaient aux branches des arbres dont les racines chétives plongent dans un sol où la terre végétale existe à peine. La sève immortelle du monde trouve pourtant le moyen d’animer ces maigres troncs. Elle palpite de même dans les sensibilités appauvries des étudiants et des filles qui rient en plein air, assis aux tables des