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BERTHE PLANAT

jours droit à la vérité, du moment qu’il veut la savoir, et même sans cela ? » dit le jeune homme.

— « C’est une question, » fit l’étudiante.

— « Pas pour moi, » reprit-il vivement, « et je ne saurais avoir d’estime pour un médecin qui me mentirait. Sans vérité, il n’y a pas de conscience, et quand on se donne des raisons pour manquer à la vérité sur un point, on y manque bientôt sur tous… »

Il avait parlé en pensant tout haut, d’un ton si convaincu que la jeune fille en fut frappée. Elle leva les yeux sur lui. Lucien comprit qu’elle le regardait pour la première fois. Il n’avait pas plus compté pour elle, jusqu’ici, que les autres figurants du cabinet de lecture. Cette constatation, pénible sur l’instant, lui était douce à se rappeler, maintenant qu’il allait cherchant dans ce court et cher passé de quoi défendre l’honneur de Berthe. Il lui plaisait que les premières paroles échangées entre eux eussent été de cet ordre scientifique et impersonnel. Il lui plaisait que l’attention de la jeune fille eût été attirée sur lui par une profession de foi qui l’autorisait à lui parler aujourd’hui en pleine franchise. Il lui plaisait surtout qu’elle eût accepté cette conversation avec la simplicité d’un camarade. Ces manières, si contraires aux préjugés reçus, pouvaient, certes, prêter à la calomnie. Il savait, lui, par sa propre expérience, combien une espèce de compagnonnage presque masculin est le plus sûr moyen d’empêcher la familiarité. Il semble supprimer la différence des sexes, tandis que la réserve trop effarouchée l’exagère. Dès ce premier entretien, le jeune homme avait senti chez Mlle Planat cette totale absence de coquetterie, d’autant plus mar-